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roger Lemoyne
Par Antoine Tanguay

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Nous sommes souvent portés à croire que c'est de courage dont doivent s'armer
principalement les grands photojournalistes. Certes, pour s'aventurer au
risque de sa vie en des endroits dÉchirÉs par les conflits pour en rapporter
quelques clichÉs, il faut afficher une dose impressionnante de sang-froid.
Mais cela ne suffit pas toujours. Il faut aussi aimer profondÉment l'
humanitÉ, ses excÈs de violence sauvage comme ses gestes de compassion.
Parce qu'il n'est pas juste de seulement montrer la guerre, mais aussi ses
ravages parmi des ­milliers de victimes innocentes qu'elle estropie
aveuglÉment tous les jours, Roger Lemoyne continue de parcourir la planÈte,
au nom de ceux qui sont condamnÉs, au propre comme au figurÉ, À demeurer
hors de l'objectif.

 

L'image un peu galvaudée du photographe baroudeur et intrépide, cousin d'un
Robert Capa ou d'un James Nachtwey, ne colle pas à Roger Lemoyne. Le
photographe, dont la réputation dépasse ­aujourd'hui largement les
frontières de son Québec natal, demeure un homme discret et de peu de mots,
qui prend toujours le temps de bien réfléchir à la portée de ses dires.
Comme à celle de ses clichés d'ailleurs.

Naturellement curieux, poussé à mieux comprendre les us et ­coutumes d'
ethnies différentes un peu partout sur le globe, du Congo au Kosovo et
passant par l'Inde, l'Afghanistan et l'Iraq, Lemoyne n'est pas devenu le
photojournaliste qu'il est aujourd'hui du jour au ­lendemain. Il a gravi les
échelons par étapes, en travaillant d'abord avec différents organismes
humanitaires comme la Croix Rouge ou Unicef. C'est ainsi qu'il a pu
concrétiser sa soif de découvertes et, de son propre aveu, combler une
certaine soif de justice: «Il y a un ­engagement social à la base de la
démarche d'une majorité des ­photoreporters qui font de ce métier
particulier une vie. Ce travail m'amène à voir des choses qui sont peut-être
dures à regarder, mais elles existent pourtant. Le tremplin, ce qui me fait
avancer, c'est une rage envers une injustice sociale. Comment tolérer un
monde aussi injuste? Sinon, je ne saurais dire ce qui me pousse à prendre
ces ­photos difficiles, tristes, injustes ou violentes», affirme Lemoyne.

Au fil de ses voyages dans plus d'une cinquantaine de pays entre 1991 et
aujourd'hui, Lemoyne ramène des endroits ravagés par les conflits des
clichés qui lui vaudront d'être remarqué par de prestigieux magazines et de
décrocher de nombreux honneurs (World Press Photo, Picture of the Year,
Lux/CAPIC, NPPA.). Rien de surprenant puisque le photographe a su développer
à travers ses reportages un sens aigu de la composition, au demeurant
souvent fort épuré. À ce propos, il fait souvent référence à Henri
Cartier-Bresson et à son ­influence, car pour lui, c'est dans l'agencement
des éléments ­constitutifs d'un cliché que réside la clé de sa réussite: «Ce
qui ­distingue un photographe, c'est sa façon de composer. [.] Je crois qu'
une photo réussie, c'est une photo qui nous permet de voir dans la tête des
gens. Ce n'est pas forcément de l'émotion au sens ­tragique du terme. Des
fois, on perçoit d'autres choses: de l'ennui, par exemple. Mais lorsque j'
arrive à démontrer ce qui se passe ­réellement chez les gens que je
rencontre, alors je considère que j'ai réussi. Le conseil que je donnerais
aux gens qui veulent rendre leurs photos plus vivantes, ce serait de penser
à ça. C'est ce qui crée le déclic entre le spectateur et l'image.»

Il est vrai que ce «déclic» chez Lemoyne est remarquablement ténu. Parfois
si timide qu'on ne le remarque pas au premier regard. À titre d'exemple,
cette petite main agrippée à un mur, véritable tache ­humaine sur fond gris.
C'est ce détail qui distingue la photo d'un ­simple mur d'un germe d'une
(triste) histoire de liberté entravée. «La photo a sa propre réalité, elle
se tient en elle-même. Il est vrai qu'on pourrait prendre une photo et 
l'interpréter ou lui donner un sens ­différent, mais habituellement, le
message est assez implicite dans l'image. [.] De plus, ce qui est fascinant
avec des photographes comme Henri Cartier-Bresson, c'est que l'on sent que
ce sont de "vrais moments". Une photo avec cette réalité transparente,
presque lumineuse, qui en ressort, ça ne se recrée pas. Et je ne parle pas
ici de lumière à proprement parler, mais bien de lumière émotive.»

Mais derrière les proportions et les petits riens qui veulent tout dire, il
y a aussi la peur, la famine, et puis la mort. Surtout la mort. C'est ce qui
rend l'œuvre de Lemoyne - le terme est bien choisi puisque son ­ portfolio
dépasse largement le cadre du reportage d'actualité humble et pourtant si
forte, c'est que l'on retrouve toujours un fragile équilibre entre beauté et
tragédie. C'est dans cet espace flou où se rencontrent l'artiste et le
journaliste que naissent les plus belles images du photographe.

Pourtant, aussi ironique que cela puisse paraître, Lemoyne n'aime pas
photographier les conflits. Celui dont le travail s'articule autour de la
grave question des enfants victimes de la guerre confie: «La guerre, et la
violence en général, demeurent des sujets qui n'ont pas de ­véritable
profondeur.» La phrase est lancée, lapidaire et pourtant ­ essentielle à 
l'établissement d'une définition qui prétendrait être fidèle à son travail.

Avec le temps, Lemoyne a appris à respecter les caprices de son métier:
«Après avoir travaillé pendant longtemps, on assume plus ou moins
naturellement son rôle. On fait la paix avec cet acte d'intrusion et de
voyeurisme lorsqu'on approche les gens en difficulté. Ce n'est pas évident,
et surtout pas naturel. Mais en voyant à quel point, la photo peut toucher
les gens, tu te dis que c'est difficile pour toi et pour eux. [.]
Habituellement, ils veulent que le reste de la planète sache ce qu'ils
vivent. Ces victimes, elles veulent que leur souffrance soit connue.» [...]

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  Photos : Roger Lemoyne
Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie.
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